La matière est généralement pensée à partir du point de vue humain. Objet de l’expérience sensible, dans le projet architectural elle est naturellement traduite en relation avec nos sens. Celle-ci est alors utilisée et modelée, afin de se soumettre à nos usages et à nos modes d’investir l’espace bâti. Dans ce sens, l’on peut postuler que notre façon de la percevoir en est l’unique manière. Mais que serait la matière à partir d’un point de vue novateur tel que celui de l’animal ? Le projet architectural, de la phase de conception jusqu’à celle de la construction – laquelle est l’alliance de la forme et de la matière – pourrait en être profondément impactée, aussi bien que les territoires et espaces divers que nous partageons. Cette réflexion d’ordre théorique et projectuelle, apporterait un nouveau regard sur la variété des relations que nous entretenons avec eux, et intègre cette actuelle évolution de la considération de l’Animal.
Désormais devenu un enjeu contemporain d’envergure, ce nouveau bouleversement sociétal nous amène à poursuivre plus intensément les pistes de recherche préalablement investies quant à son égard. Le caractère immémorial de l’homme et de l’animal implique de reconsidérer les devoirs éthiques et moraux qu’engendre ce lien, et d’affiner nos responsabilités vis-à-vis d’eux. Plus nous en découvrons sur la complexité de leur être et de leurs mondes propres, plus il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence des espaces que nous leur offrons. Suite aux récentes découvertes scientifiques sur ce sujet complexe de l’Animal, nous sommes de plus en plus en mesure d’affirmer que les espaces –artéfactuels – dans lesquels évoluent la majorité des animaux placés sous notre responsabilité directe (domestiques, captifs), ne sont pas aussi légitimes que nous le prétendons.
Pour que ces récentes découvertes éthologiques puissent être prises en considération, les réflexions morales concernant les relations que nous entretenons avec eux doivent chercher à se concrétiser matériellement et s’extraire d’une vision anthropocentrée. L’être humain, très souvent considéré comme étant mesure de toute chose n’est plus l’unique référence. Lorsque nous assimilons que l’animal est, tout comme nous, en interaction continue avec son environnement, selon les caractéristiques liées à son espèce, et que ce qu’il perçoit n’est ni neutre ni banal, nous ne pouvons continuer à leur imposer une diminution aussi radicale des mondes dans lesquels ils évoluent lorsqu’ils sont soumis à notre autorité. Qu’est ce que la condition animale peut attendre de l’architecture ? Jusqu’où l’acte de concevoir peut-il aller dans la compréhension des mondes animaux ? Ce que nous savons aujourd’hui, nous ne le savions pas il y a quelques années. Comment les animaux perçoivent-ils ce qui les entoure et surtout, comment en tenir compte dans le projet architectural ? Comment le projet architectural pourrait-il devenir la représentation matérielle d’un monde inconnu?
Il s’agit de dépasser la notion de « bien-être » animal, laquelle ne suffit plus à répondre aux critères complexes des animaux lorsqu’il s’agit d’espaces construits. La seule relation homme-animal ne suffit pas à être développée, c’est la relation tripartite homme-animal-environnement qui doit être approfondie.
Ici, c’est le sens du mot « matière » tel que nous l’abordons habituellement qui est remis en cause. Il est question de la matérialité des productions architecturales à destination d’animaux, pour que celles-ci deviennent également lisibles et compréhensibles de leur point de vue.
Mégane Klein – Article rédigé en 2017 pour PLI magazine (article non retenu)
